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TCHAO PANTIN

Claude Berri – 1983 – France

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Résumé court:
Lambert, pompiste de nuit solitaire et alcoolique, fait la rencontre du jeune Bensoussan, petit dealer paumé. Une amitié naît entre les deux hommes. Le jour où Bensoussan meurt assassiné, Lambert part à la recherche des assassins du jeune homme.

1. Axe historico-géographico-politico-économique

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Les évènements de la narration sont contemporains au tournage du film. On peut le constater à la vision des différents types de véhicules, des vêtements et coupes de cheveux des protagonistes ou encore via le mouvement punk qui se popularisait alors en France dans la scène underground.

 

Géographiquement, le récit se déroule à Paris dans divers arrondissement (3ème, 11ème, 18ème, 20ème). Les lieux de l’action sont une station-service, des bars, une boîte de nuit («Gibus»), les appartements des deux personnages principaux, les rues des différents quartiers (dont certains «malfamés»).

 

Historiquement, le nombre de chômeurs dépasse les 2 millions en France. 7,1 % de la population active est sans emploi. L’ambiance qui règne dans les divers lieux arpentés au long du film fait ressortir cet état de fait sans pour autant que le sujet du chômage ne soit abordé une seule fois. Mais que ce soit via les hommes qui passent leurs temps dans les bars ou les jeunes qui «zonent», la plupart de ces gens n’ont sans doute pas d’emploi mais du temps à tuer, d’une manière ou d’une autre. Sans être une excuse pour justifier la situation du jeune Bensoussan qui vit du deal, il est fort probable que si trouver du job à cette période était compliqué, sans doute l’était-il plus encore pour un maghrébin. 1983 marque aussi l’arrivée à Paris d'une grande Marche pour l'égalité et contre le racisme (réunissant 60 000 personnes) qui s'est déroulée en France du 15 octobre au 3 décembre 1983. Il s'agit de la première manifestation nationale du genre en France et qui verra la banalisation du terme de «Beur» pour décrire la seconde génération maghrébine.

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2. Axe sociologique

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L’aspect sociétal est abordé par le prisme du prolétariat, des sans-emploi ou encore des dealers. Il y a concernant ces différents profils le sentiment de ceux qui vivent en marge de la société mais plus encore de ceux laissés-pour-compte. Personne ne s’intéresse réellement à eux et à leur sort. Ils sont livrés à eux-mêmes et s’en sortent plus ou moins honnêtement. On remarque que deux éléments lient ces divers profils: la solitude et le fait d’être perdu. Chacun en souffre.

 

L’amitié et l’amour sont au centre du récit. Pour ces gens en grande solitude, ces deux notions représentent une éclaircie salutaire dans une vie austère. Le manque général de rapports sociaux et sentimentaux rend la communication parfois difficile mais en prenant le temps d’apprivoiser l’autre, ils parviendront tous à s’extirper quelque peu de leur solitude en trouvant quelqu’un à qui se confier, quelqu’un à s’occuper, quelqu’un à aimer.

 

La hiérarchie est ici abordée par la chaîne du trafic de drogue: consommateur/dealer/fournisseur/grossiste.

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3. Axe psychologique

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Lambert :

Pompiste de nuit, alcoolique, seul, désabusé, triste, empli de désillusion face à la gente féminine, désarmant, touchant. Sa rencontre avec le jeune Bensoussan va bouleverser sa vie et faire remonter à la surface des souvenirs enfouis depuis bien longtemps. Il va trouver en la personne de Bensoussan un ami et une personne dont il se sent responsable. En effet, on ne le comprendra que plus tard dans le récit mais Lambert voit en ce jeune homme l’image de son fils décédé. Ce n’est qu’au moment de la révélation de son passé d’inspecteur de police et de l’histoire tragique ayant conduit son fils à mourir d’une overdose que la relation protectrice et quasi paternelle qu’il entretenait avec Bensoussan trouvera son explication. Par exemple, la baffe qu’il donne à Bensoussan lorsque celui-ci s’allume un joint ne fait que lui rappeler l’addiction de son fils à la drogue. Il tente tant bien que mal de faire la morale à Bensoussan mais ce dernier lui rétorquera à juste titre que lui ne fait pas mieux en se sifflant chaque nuit sa bouteille de whisky. Si son geste partait d’une bonne intention (à savoir vouloir protéger), il ne sait malheureusement pas comment se comporter face à ça, lui qui n’a jamais pris le temps d’essayer de comprendre son fils à l’époque et qui n’a compris que trop tard que c’était en premier lieu d’un père dont manquait son fils, avant que ce ne soit la drogue dont il soit en manque. C’est le décès de Bensoussan qui va malgré lui permettre à Lambert de procéder à son introspection. Il va alors vouloir rendre justice lui-même en éliminant les assassins et les commanditaires derrière cet assassinat. C’est alors peut-être autant une vengeance suite au décès du seul ami qu’il ait eu depuis longtemps qu’un règlement de compte personnelle envers la drogue, celle-ci même qui a conduit son fils à une overdose.

 

Bensoussan :

Jeune dealer arabo-juif paumé, il est fougueux, caractériel, inconscient et «en veut» dans la vie. Ayant très peu de famille, il va trouver en la personne de Lambert une sorte de mentor, voire de père. Comme tout rapport de ce type, les remises à l’ordre ou les conseils de ce père de substitution ne vont pas toujours plaire au jeune homme qui parfois les prendra mal et ne comprendra pas les réactions de Lambert (scène du joint). Il sait qu’il peut trouver refuge et aide auprès de Lambert. Ce dernier, ayant le cœur sous la main et voyant que le jeune homme a des problèmes, lui viendra en aide financièrement alors qu’il ne possède que très peu d’argent. Bensoussan est aussi à la recherche de l’amour, le vrai, «pas celui avec les putes». Il va tomber sous le charme d’une jeune femme punk et vivre une brève histoire avec elle.

 

Lola :

Jeune femme faisant partie d’une bande de punks. Elle «traîne» avec eux mais on sent que c’est plus pour ne pas être seule qu’un désir réel d’être en leur compagnie. Comme les autres protagonistes, on la sent paumée. Elle cherche constamment l’affection mais ne sait pas vraiment comment s’y prendre. Elle se montre tout d’abord plutôt désagréable et éloignée avant de se montrer sensible et se rapprocher. Pour imager cela, elle va dans un premier temps s’intéresser à Bensoussan car celui-ci a une chouette bécane. Lorsqu’il viendra la chercher la fois d’après avec une moto moins bien, elle hésitera à monter avant de se raviser et finalement de finir chez le jeune homme. Il en est de même par rapport à Lambert. D’abord réticente à l’aider pour retrouver les assassins de Bensoussan, elle finira même par l’insulter lorsque ce dernier se montrera trop insistant. Elle se prendra finalement de compassion pour lui et l’aidera dans sa quête de vengeance tout en essayant de l’en dissuader. Elle finira par s’installer chez lui. Là aussi, la cohabitation sera difficile au départ mais les deux finiront par devenir amant. Elle trouvera chez Lambert une douceur qui lui manque dans sa vie en même temps que la figure éventuel d'un père.

 

Bauer :

Officier de police qui mène l’enquête sur le meurtre de Bensoussan. On sent dès le départ qu’il pense que Lambert est l’auteur de la vendetta contre les assassins de Bensoussan. Toutefois, il va en quelque sorte le laisser «tranquille», non pas qu’il manque de preuve ni de témoignage mais plus par compassion pour un ancien de la «grande maison» (la police) et son histoire tragique. Peut-être aussi car selon lui ce ne sont pas les petits dealers et encore moins les gens au-dessus qui manqueront à la société si ils venaient à disparaître.

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4. Axe narratologique, stratégie du récit 

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Narratologie:

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1. Equilibre initial

Un pompiste de nuit fait la rencontre d’un jeune homme venu faire réparer sa moto. Une relation amicale naît entre eux.

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2. Perturbation

Le jeune homme a emprunté la moto d’un haut placé dans le milieu de la drogue sans lui demander son accord.

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3. Déséquilibre

Le jeune homme se fait tuer par deux hommes devant la station-service où travaille le pompiste.

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4. Action réparatrice

Le pompiste part venger son jeune ami et remonte les échelons du trafic de drogue. En même temps, il procède à son introspection.

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5. Rétablissement de l’équilibre

Pas vraiment de retour à un équilibre, le pompiste se faisant tirer dessus sur la dernière image du film. Il aura toutefois eu le temps de venger son ami et d’exhumer les souvenirs douloureux de son passé.

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Récit:

Il est centré sur 3 personnes paumées que la vie va rapprocher. Chacune d’entre elle va trouver ou retrouver ce qui lui manquait, il s’agit ici principalement d’amitié, d’amour et de liaisons père-fils de substitution. Le destin sera triste pour les 3 mais en l’espace de quelques jours ils auront trouvé ce qui manquait à leur vie: une signification.

 

Le récit est ramifié autour des laissés-pour-compte, de la solitude, de la drogue (auquel on peut inclure l’alcool), des quartiers malfamés, de règlements de compte, de vengeance, de salut, d’amitié, d’amour, de la communauté arabe/de l’immigration, du mouvement punk, de la famille, des souvenirs douloureux, de la jeunesse.

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Point de vue:

 

Narratif:

L’introspection d’un homme suite au décès d’un jeune homme lui rappelant le fils qu’il a perdu des années auparavant.

 

Visuel:

Nous avons le point de vue sur la vie et les activités des personnages, sur la ville et ses différents quartiers et la vie de ceux-ci (bar, boîte de nuit), sur le déroulé du trafic de drogue (transaction dealer-consommateur). On a aussi la vision des protagonistes sur ce qui les entoure (Lambert observant ce qui se passe aux alentours de sa station-service, Bensoussan observant Lola).

 

Idéologique:

Certaines rencontres peuvent bouleverser des vies et permettre de trouver ou retrouver ce qui manquait à un moment précis dans ces vies. L’issue n’en est pas toujours heureuse mais les rencontres, elles, en valent assurément la peine.

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5. Analyse des langages et techniques images et sons

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Images:

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L’image est résolument blafarde et sombre, soit en total accord avec le ton du long-métrage mais aussi avec sa temporalité, le film se déroulant la plupart du temps de nuit ou au petit matin (rapport au travail de Lambert, aux deals de Bensoussan, aux sorties de Lola). Le travail à la photographie de Bruno Nuytten (récompensé par un César) est excellent tant il capte avec justesse la déprime et la tristesse qui englobe le film et de fait participe grandement à l’ambiance générale ressentie. Tout comme la vie et les destinées des personnages, très peu d’éclaircies sont à noter à l’image, les seules véritables éclaircies provenant des sourires des protagonistes à de rares instants.

Claude Berri filme lui de manière sobre et réaliste son sujet, ce qui est tout à fait juste. Il filme à hauteur d’homme (plan buste), propose des plans d’ensemble et de demi-ensemble, des jeux d’ombres sur le visage et la silhouette de Coluche ou encore des plans caméra à l’épaule.

 

Sons:

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Extra-diégétiques:

La musique a été composée par Charlélie Couture. La chanson principale, «les nuits sont trop longues» collent parfaitement, tant aux niveaux des paroles que de la mélodie, à la trame du film. Les autres compositions, teintées de noirceur et de mélancolie, contribuent elles aussi à l’atmosphère du film.

                                                                                                         

Diégétiques :

Circulation, pluie, machine à sous, brouhaha régnant dans les bars, concert punk live, coup de feu, platine diffusant de la musique.

 

6. Les intentions de l'auteur/critique

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En adaptant le roman d’Alain Page, Claude Berri porte à l’écran cette histoire d’un pompiste dépressif et alcoolique qui va retrouver une raison de vivre suite à sa rencontre avec un jeune dealer. Pour le rôle de Lambert, Berri pense à Coluche avec lequel il a déjà travaillé (Le Pistonné, Le Maître d’école). Cela va se révéler être un choix gagnant pour les deux parties. Grâce la popularité mais surtout à l’interprétation de Coluche, ici utilisé à contre-emploi, le film va se révéler être un succès publique et critique. Tout dans le film, de la photographie à la musique, des dialogues aux interprètes, forme une matière très sombre et dépressive d’où la lumière est quasi absente. Le parti pris de se montrer fidèle au roman afin d’être au plus près de la tristesse et de la misère se révèle très juste. On suit avec intérêt et compassion les destins de ces personnages délaissés et cassés par la vie. L’histoire n’a rien d’extraordinaire mais c’est justement par son ton ordinaire qu’elle touche. On est ici dans le véridique, personne ne triche, les cœurs et les blessures sont à nus. Le film touche car on y croit sans peine. Mais pour qu’il nous touche complètement il fallait un casting digne de ce nom et ce fût le cas. Le tout jeune Anconina, dans son premier grand rôle, propose déjà cette sensibilité, cette douceur et cet air rêveur qui sont depuis devenus partie intégrante de son jeu d’acteur. Quant à Coluche, il est désarmant d’humanité, de tristesse contenue et de froideur à l’heure de régler leurs comptes aux assassins de son ami. Les Césars ne s’y sont pas trompés en attribuant la statuette du meilleur acteur à ce dernier. Il en est de même pour Anconina, sacré meilleur second rôle et meilleur espoir. Un grand film noir et dépressif.

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